1492 à 1804
D' Hispagnola à Haiti
Vaste comme la Belgique (27.750 km2), l'actuelle république de Haïti est l'héritière de la colonie française de Saint-Domingue.
Située dans les Grandes Antilles, elle occupe la partie occidentale de l'île d'Hispaniola, déformation du nom Isla española que lui avait donné son découvreur Christophe Colomb le 6 décembre 1492.
Le frère de Christophe Colomb, Bartolomeo, fonde en 1496 la première implantation permanente à Hispaniola. Il la baptise Nueva Isabela en hommage à la reine Isabelle de Castille.
En 1502, la ville est détruite par un cyclone et reconstruite sous le nom de Santo Domingo de Guzman, en hommage cette fois à Saint Dominique. De là les noms de Saint-Domingue et de Républicaine dominicaine, celle-ci se partageant aujourd'hui l'île avec la république de Haïti.
Le nom d'Haïti vient d'Ayiti, ou Terre des hautes montagnes, nom que donnaient à l'île ses premiers habitants, de pacifiques Indiens Taïnos, du groupe des Arawaks.
Tous ont disparu tragiquement en quelques années, victimes de la colonisation européenne (travail forcé, persécutions, maladies) et plus encore de l'invasion des terribles Indiens anthropophages du groupe des Caraïbes venus des îles voisines.
En 1508, Santo Domingo devient le siège de la vice-royauté des Amériques et le centre de la colonisation espagnole.
Désireux de s'enrichir au plus vite avant de rentrer chez eux, les premiers Espagnols reçoivent des terres avec le droit de faire travailler les Indiens qui y vivent. C'est le principe du repartimiento.
L'extraction de l'or dans le sous-sol et les rivières s'avère dans un premier temps très productif, jusqu'à fournir 500.000 écus d'or par an à l'Espagne.
Les esclaves africains débarquent dès 1502 pour remplacer les Indiens dans les plantations et les gisements d'or.
Indiens survivants et Noirs ne manquent pas de se révolter. C'est ainsi qu'un cacique (chef indien) du nom d'Henri se réfugie dans les montagnes avec des compagnons indiens et noirs et parvient à maintenir son indépendance pendant 13 ans. C'est le début du marronnage, nom donné aux fuites d'esclaves dans la forêt (de l'espagnol cimarrón, qui signifie esclave noir fugitif).
La population autochtone disparaît en quelques décennies. Quelques Indiens se fondent par métissage avec les nouveaux arrivants d'Europe et d'Afrique.
Sans le savoir, nous vivons aujourd'hui en partie sur l'héritage des malheureux Taïnos. Ces derniers nous ont légué une partie de leur alimentation : manioc, igname, patates douces, tabac et maïs. Ils nous ont laissé aussi quelques beaux témoignages de leur art.
Enfin, beaucoup de mots taïnos sont entrés dans notre langage courant : barbecue (de barbacoa, claie en bois pour griller la viande), boucanier (de boucan, lieu dédié à la cuisson de la viande), hamac (de hamaca), savane (de sabana, plaine sans arbres), ouragan (de huracan), tabac (de tabaco), patate (de patata), goyave (de guayaba), papaye (de papaya), maïs (de maïz) etc... (*).
En 1535, le gouverneur Nicolas Ovando fait venir des plants de canne à sucre des îles Canaries et encourage leur plantation pour compenser l'épuisement des gisements aurifères.
Au XVIIe siècle, des boucaniers français commencent à s'installer sur l'île voisine de la Tortue. Eux-mêmes se dénomment pompeusement les «Frères de la côte».
Ce sont des chasseurs qui doivent leur nom au fait qu'ils consomment du boucan, c'est-à-dire de la viande séchée à la fumée. Ce sont aussi des pirates et des corsaires qui s'en prennent aux métaux précieux que les riches galions espagnols convoient du Mexique vers l'Espagne.
Leur présence (ils sont près de 3.000) attire l'attention du roi Louis XIII et de son ministre Richelieu.
Le gouvernement français était jusque-là indifférent aux conquêtes coloniales, si l'on met à part l'exploration du Canada et la prise de possession de la Martinique. Il se contentait d'encourager ses corsaires, qui attaquaient et pillaient les navires espagnols, chargés des richesses du Nouveau Monde ou d'esclaves d'Afrique (les «pièces d'Inde»).
Le 31 août 1640, les flibustiers français expulsent leurs rivaux anglais de la Tortue et débarquent même sur le nord de l'île d'Hispaniola. Quelques mois plus tard, le huguenot Le Vasseur occupe l'île de la Tortue pour le compte de la France. En 1642, le chevalier de Fontenay prend possession de l'ouest d'Hispanolia au nom du roi Louis XIII.
Les plantations prospèrent sous le climat tropical de l'île : café, tabac, cacao, indigo,... Mais la canne à sucre (véritable or blanc du XVIIIe siècle), tend à l'emporter sur les autres cultures.
Un gouverneur, Bertrand d'Ogeron, fait venir des «engagés» européens pour travailler dans les plantations aux côtés des esclaves africains et dans les mêmes conditions.
À la différence des Africains, ces hommes surnommés «Bas-Rouges» sont rémunérés et libérés au bout de 36 mois. Mais les planteurs ne tardent pas à renoncer à cette main-d'oeuvre qui supporte mal le climat tropical.
En 1697, le roi Louis XIV se fait céder légalement la partie occidentale d'Hispanolia par le traité de Ryswick qui met fin à la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Cette acquisition marque le véritable commencement des ambitions coloniales de la France.
De son nom officiel «côtes et îles de Saint Domingue en l'Amérique sous le vent», la colonie devient très vite la plus prospère des possessions françaises d'outre-mer grâce à ses plantations de café et de canne à sucre et à ses nombreux esclaves noirs.
À la veille de la Révolution française, Saint-Domingue assure près des 3/4 du commerce mondial de sucre ! En 1788, son commerce extérieur, évalué à 214 millions de francs, est supérieur à celui des États-Unis.
La colonie compte près de 600.000 habitants, dont 40.000 affranchis, essentiellement des mulâtres, et 500.000 esclaves noirs.
Les affranchis n'ont pas les mêmes droits que les colons mais bénéficient d'une certaine aisance et sont parfois même propriétaires d'esclaves.
La majorité des esclaves sont nés en Afrique. Ils ont été introduits dans l'île dans le cadre de la traite, nom donné au trafic d'esclaves pratiqué par les Européens, au rythme effarant de 30.000 par an dans les années précédant la Révolution.
Dans le même temps, la partie espagnole de l'île, Santo Domingo, dépérit et compte à peine quelques dizaines de milliers d'habitants.
Le sort de l'île est bouleversé par la Révolution française. Le 15 mai 1791, à Paris, l'Assemblée nationale accorde timidement le droit de vote à certains hommes de couleur libres.
Cette demi-mesure inquiète les colons blancs de Saint-Domingue qui songent à proclamer leur indépendance. Elle ne satisfait pas davantage les affranchis. Les uns et les autres s'affrontent violemment.
Les commissaires de la République française Sonthonax et Polverel se résignent à proclamer la liberté générale des esclaves. Voyant cela, certains planteurs appellent les Anglais à leur secours.
Heureusement pour la France, le chef noir Toussaint Louverture quitte le camp espagnol pour celui de la France révolutionnaire. Avec le grade de général, il combat les Anglais et les chasse de l'île.
La prospérité ne tarde pas à revenir. Il est vrai que le nouveau maître de l'île oblige ses frères de couleur à travailler comme salariés dans les plantations dont ils étaient auparavant les esclaves !
Le 8 juillet 1801, Toussaint Louverture proclame l'autonomie de l'île et se nomme Gouverneur général à vie de la nouvelle République. Le Premier Consul ne goûte guère cette initiative. Il arme une puissante expédition pour y mettre fin. Son échec permettra aux successeurs de Toussaint Louverture de proclamer leur indépendance pour de bon le 1er janvier 1804.
1er Janvier 1804
Haiti devient independant
Le dimanche 1er janvier 1804, l'île de Saint-Domingue devient indépendante au terme d'une longue et meurtrière guerre de libération.
L'ancienne colonie française devient le premier État noir des Temps modernes et le deuxième État indépendant des Amériques (après les États-Unis). Elle adopte pour l'occasion le nom que lui donnaient les IndiensTaïnos avant l'arrivée de Christophe Colomb : Haïti.
C'est seulement à partir de 1825 que son indépendance sera reconnue par la France et d'autres nations dites civilisées.
Toussaint Louverture, le héros de la guerre de libération, ayant été fait prisonnier par traîtrise et envoyé au fort de Joux, dans le Jura français, c'est l'un de ses lieutenants, un ancien esclave noir du nom de Jean-Jacques Dessalines, qui prend le pays en main.
L'indépendance est proclamée sur la place d'armes des Gonaïves, en présence d'une immense foule en costumes chatoyants.
Dans la foulée, Jean-Jacques Dessalines reçoit de ses lieutenants le titre de gouverneur général à vie que portait Toussaint Louverture avant sa capture.
Quelques mois plus tard, le 22 septembre 1804, il se désigne empereur sous le nom de Jacques 1er mais son gouvernement dégénère en une épouvantable tyrannie.
Il fait périr les derniers Blancs restés sur l'île et suscite contre lui la rébellion de ses anciens lieutenants. Dans un ultime sursaut, il projette de nationaliser les terres et de les répartir entre tous les citoyens ! Il est tué dans une embuscade le 17 octobre 1806.
C'est le début d'une lutte d'influence qui ne va plus cesser jusqu' à nos jours entre la minorité mulâtre et la majorité noire.
Les mulâtres descendent des anciens affranchis. Établis dans les villes, ils possèdent ce qui reste de richesses sur l'île et se flattent de parler français. Les Noirs descendent des anciens esclaves. Beaucoup sont arrivés dans les dernières décennies du XVIIIe siècle. Ils parlent créole et pratiquent le culte vaudou (*). Henri Christophe, lui-même ancien esclave noir, succède à Dessalines dans le nord de l'île, cependant que le sud tombe sous la domination d'un mulâtre, Anne Alexandre Pétion.
La partie orientale de l'île est quant à elle récupérée par l'Espagne en 1814... mais pour très peu de temps.
Christophe devient le roi Henri 1er en 1811 avant d'être contraint au suicide en 1820.
Il reste de lui les ruines émouvantes du palais de Sans-Souci, construit de 1806 à 1813, pillé à sa mort et détruit par un tremblement de terre en 1842.
Pétion préfère quant à lui les formes républicaines et le titre de président. Fils d'un riche planteur et d'une mulâtresse, il a combattu Toussaint Louverture dans l'armée du général Leclerc avec le grade de colonel avant de se rallier au chef insurgé. Il apporte son aide à Simon Bolívar qui, sur le continent latino-américain, mène la guerre contre la domination espagnole.
À sa mort, le 29 mars 1818, un autre mulâtre lui succède à la tête de la république. C'est Jean-Pierre Boyer. Il va gouverner la république haïtienne pendant un quart de siècle, jusqu' à sa chute en 1843.
Jean-Pierre Boyer réunifie le territoire de l'ancienne colonie française après la mort du roi Henri 1er et rétablit un semblant de stabilité.
Dans le même temps, Madrid, qui a rétabli sa souveraineté en 1814 sur la partie orientale de l'île, doit s'en retirer suite à une révolte locale. Le 30 novembre 1821, les colons blancs de l'ancienne colonie espagnole proclament leur indépendance sous le nom de Haïti espagnol.
Mais Jean-Pierre Boyer ne leur laisse pas le temps de savourer l'indépendance. Il envahit le territoire et le réunit à Haïti (l'unité de l'île ne survivra pas à la chute du président, un quart de siècle plus tard).
Le président haïtien doit aussi traiter avec le gouvernement français qui n'a jamais digéré la défaite de l'armée de Leclerc ni surtout le massacre des colons blancs par Jacques Dessalines.
Les négociations traînent en longueur. Le 11 juillet 1825, enfin, sous la menace d'une escadre de 14 vaisseaux et 500 canons, Jean-Pierre Boyer se résigne à signer un traité avec le roi de France Charles X.
Celui-ci reconnaît l'indépendance de la colonie en échange d'une indemnité de 150 millions de francs-or qui sera plus tard ramenée à 90 millions. Les Haïtiens vont l'acquitter par échéances jusqu'en 1888 !...
Prenant prétexte de cette indemnité dans laquelle ils voient une forme de protectorat de la France sur Haïti, les États-Unis et les jeunes États latino-américains refusent de reconnaître la république noire (ils ne s'y résoudront qu'en 1862, sous la présidence d'Abraham Lincoln).
L'année suivante, le 1er mai 1826, Jean-Pierre Boyer tente d'instaurer un nouveau Code rural en vue de faire rentrer dans les caisses de l'État les ressources indispensables au paiement de la dette. Il veut attacher les paysans à leur terre et leur imposer des quotas de livraison à l'État. Défi impossible.
Les populations noires des campagnes s'indignent d'être taxées au profit de l'ancienne puissance coloniale d'autant qu'elles sont très pauvres. Sous les gouvernements précédents, en effet, les grandes et prospères plantations de canne à sucre ont été partagées entre les paysans, réduisant l'île à une agriculture de subsistance.
Une révolte éclate le 27 janvier 1843 et chasse Jean-Pierre Boyer du pouvoir. La république d'Haïti sombre dès lors dans une instabilité sanglante dont elle n'est pas encore sortie.